Aux repas familiaux, mon père nous parlait à mes frères et soeurs et moi du monde ouvrier et des deux usines (Colas et cimenterie). Apres la guerre, l'industrialisation battait son plein. Une main d' oeuvre excédentaire quittait l'agriculture pour cause de sous emploi et de rémunération basse. Beaucoup de jeunes gents firent le choix de quitter le milieu rural. De plus les évolutions techniques et
le plan Marschall allaient vers une mécanisation et une réduction des exploitations familiales.
Y avait- il du regret ou de la nostalgie dans les discours de mon père qui était resté sur la ferme familiale de la Ronde. Les aléas climatiques, les maladies sur le bétail, le coût de la mécanisation, les pépins inattendus, les fluctuations des marchés, le revenu aléatoire firent que mon père parlait de ses copains ou voisins qui avaient fait ce choix. Qu'en était-il de la réalité d'alors.
Ne connaissant pas ce milieu ouvrier, je décidais en ce mois d'octobre 2012 de rencontrer l'un d'eux : Jean Paul Barranger
né le 20 01 1939 à Louin
de Raphael Barranger né le 30 01 1899
et de Bousseau Lucie né le 06 06 1904
Jean Paul passa toute sa jeunesse à Louin entre l'école primaire (photos de classe année 1945-1946, silhouette N°32) où il reçu son certificat d'étude et participa avec ses parents aux tâches quotidiennes de la ferme familiale.
En cette année 1959 (le 01 mai) il fut incorporé à Brive la Gaillarde pour 14 mois comme infirmier. La guerre d'Algérie l'appela pour 14 mois supplémentaires à l 'A M G (assistance médicale gratuite) dans la région du Constantinois : la petite Kabilie. Son rôle d'infirmier lui permettait d'avoir des relations humaines avec la population locale d'où un aperçu différent de cette guerre.
Retour à la vie civile en juin 1961 et mariage le 01 Août.
Au cours de son adolescence Jean Paul su qu'il ne voulait pas reprendre la ferme familiale. Les revenus très fluctuants, les aléas climatiques, le contexte économique, les imprévus, le labeur et l'investissement au quotidien de ses parents déterminèrent son choix. Que pouvait faire un jeune homme avec son certificat en poche à l'époque. L'industrie, en plein essor de reconstruction absorbait la main d'oeuvre rurale et locale. De plus beaucoup de personnes ne craignant pas la fatigue recherchaient une rémunération stable et mensuelle.
Apres quelques contrats (scierie, colas, en ferme), Jean Paul entra à la cimenterie d'Airvault en mars 1962. Son oncle Olivier Voyer, contremaitre à l'époque facilita son embauche .Au départ, pour une durée de deux mois, il fut embauché comme homme à tout faire (marteau piqueur, coulage de béton etc … . La cimenterie était en pleine expansion. Son premier salaire s'éleva à 40000f de l'époque soit 400 nouveaux francs (sous de Gaulle).
Passé cette période, il entra à l'expédition et y resta 37 ans mais à des responsabilités différentes
Photo prise devant la pointeuse en fin de journée (extrait d’un des premiers journaux d’entreprise réalisé à l’usine d’Airvault).
Seul Fernand Cornuault est de Louin
A cette époque, le chargement des camions en sacs représentait les 3/4 des expéditions .Chaque équipe de trois hommes (un ensacheur, deux chargeurs) brassaient manuellement sur chaque séquence de 8 heures 300tonnes de ciment en sacs de 50 kg. Le rythme en 2/8 (5h -13h ou 13h - 21h) permettait d'avoir la possibilité de jardiner ou de donner des coups de main temporaires aux voisins. 4 équipes chargeaient simultanément les expéditions du jour.
Les conditions de travail ne rebutaient pas ces hommes au tempérament de fer car les efforts étant compenser par une prime égale au salaire .Avec du recul j'arrive difficilement à imaginer ce travail physique .Les jeunes de l'époque suivaient à l'école des cours d'instruction civique ou l'honneur, la patrie, le respect étaient des mots importants qui conditionnaient le comportement l'acceptation de contraintes. Beaucoup de jeunes gens du bourg de la classe 1917 se sont engagés volontairement fin 1917 – début 1918. M. BARRANGER raphaël faisait parti de ceux là.
Au départ, le code du travail dans l'industrie stipulait 48 heures de travail hebdomadaire 6 jours sur 7 et 15 jours de congé payés par an (octroyé par le front populaire) pour passer plus tard à 40 heures semaine et 8 heures jour ainsi que 3 semaines puis 4 semaines et arriver sous la présidence de M. Mitterand à 35 heures sur 5 jours et 5 semaines de congé.
Le rythme, la poussière, la chaleur du site, les différentes postures du corps, les blessures aux mains n'entamaient pas le moral .Au contraire, une amitié un grand respect de l'autre, surtout envers les plus âgés permettaient une cohésion et éteindre tous conflits. Le patron d'alors venait à chaque embauche serrer la main des ouvriers afin de leur montrer respect pour ces tacherons hors pairs. Qui voudrait travailler aujourd'hui dans ces conditions extrêmes. La fatigue, la cadence musclaient les corps, renforçaient la cohésion. Une partie de cartes permettait de se détendre, de se ressourcer et d'évacuer la tension due aux efforts. L'usine mit en place une surveillance médicale afin de permettre aux salariés d'être suivi (médecine du travail obligatoire, présence d'une infirmière à temps plein). Aucun cas de silicose ou de galle du ciment ne fut déclaré. Le port d'un masque à poussière empêchait les manutentionnaire de respirer correctement et de pouvoir maintenir les cadences imposées (sauf pour les ensacheurs ou de la poussière était expulsée en permanence lors du remplissage des sacs ).
Les ouvriers de la Cimenterie connurent une augmentation de leur revenu ainsi que ceux de l'ensemble des industries. Je su au cours de l'entretien qu'environ 80 habitants de la commune travaillaient aux Ciments et autant à la Colas ce qui permit à la commune de Louin un essor de l'urbanisme et le maintien de la population locale qui trouvait à proximité une activité.
Vers 1980 les conditions de travail connurent un changement avec l'apparition de l'automatisation. Le vrac représentait les 3/4 des expéditions et 1/4 en sacs. Le rendement des équipes afficha les 400 tonnes/jour à 3 personnes (1 ensacheur 2 chargeurs) puis la chaine devint mécanisée (palettiseur et manitou).
Le poste de Jean Paul évolua .Il fut promu chef d'équipe. L'organisation du secteur expédition changea. Vrac et sac étaient gérés par la même équipe. Jean Paul s'occupait de la gestion des 10 ponts bascules, relançait les automates en cas d'arrêt, assurait la gestion des stocks de ciment blancs de chaux Astier, de leur réception et d'assurer leur chargement pour les clients intéressés. Le travail ne ressemblait en rien à celui du départ. Le nombre des équipes baissa au fil des années et des départs à la retraite ainsi que des plans sociaux. Après 37 ans, en février 1998, la retraite arriva avec la satisfaction d'avoir rempli sa mission.
Ce résumé, me permit de découvrir partiellement ce monde que je ne connaissais pas ou peu.
Paul Doussin m'avait, quelques décennies plus tôt, parler de cet univers. Après réflexion, je constate qu'il fallait du cran pour rentrer en usine et donner toute son énergie dans une activité physique extrême pendant une vie de labeur. Jean Paul montre beaucoup de satisfaction de cette période qui lui permit d'assurer au quotidien du confort, d'assumer ses aspirations …...
Par contre je ne comprends pas, la jalousie et l’amertume de certains compatriotes d'alors qui ne connaissaient la dureté et les contraintes des ouvriers qui firent le saut vers l'inconnu.
Entretien et rédaction par Pierre MORIN et Isabelle BILLEROT (novembre 2012)